Introduction
La crise est à l’ordre du jour. Les journaux et les média ne parlent que de ça ou presque. Mais de quelle crise parlons-nous? Crise des dettes souveraines? Crise de l’euro? Crise de l’Europe? Crise de l’embauche?… Nous connaissions une crise culturelle et éthique depuis Mai 68, une crise écologique depuis 1972 et le premier rapport au Club de Rome, une crise sociale depuis la contre-révolution néo-libérale des années 80-90, une crise financière depuis aout 2007 avec les subprime, une crise économique enfin depuis le 15 septembre 2008 et la chute de la banque Lehman Brothers. Finalement, toutes ces crises se rejoignent et se cumulent pour constituer aujourd’hui une crise de civilisation.
Il y a là cependant un paradoxe, car traditionnellement la crise désigne un moment précis du temps et non une période aussi longue qui s’étalerait sur plus de quarante ans. Dans la médecine hippocratique, la crisis est le tournant décisif dans l’évolution de la maladie. Ce que nous vivons ressemble plus à la fin d’une époque historique, comme la chute de l’empire romain qu’à un événement instantané. D’ailleurs, dans un ouvrage collectif intitulé «Où va le monde? 2012-2022: une décennie au devant des catastrophes» (Cochet, Dupuy, George, Latouche 2012), j’ai intitulé ma contribution: La chute de l’Empire romain n’aura pas lieu, mais l’Europe de Charlemagne va éclater. Je veux signifier par là qu’il est impossible d’assigner une date à la chute de l’Occident, le déclin se prolongeant très longtemps à travers une série de catastrophes plus ou moins prévisibles, tandis que la construction européenne, comparable à la tentative de Charlemagne d’aller à contrecourant du processus de décomposition, s’effondre après quelques décennies héroïques.
Si l’usage paradoxal du terme crise s’impose cependant pour désigner ce processus de longue durée, c’est que la civilisation occidentale telle que nous la connaissons depuis trois siècles est très particulière. Il s’agit d’une société de croissance, c’est-à-dire une organisation humaine presque totalement dominée par son économie. Or celle-ci ne trouve son équilibre que dans une fuite en avant, comme un cycliste qui tombe s’il s’arrête de pédaler. Quand la croissance n’est pas au rendez-vous dans la société de consommation, rien ne va plus. Or c’est précisément ce qui se passe depuis les années soixante dix. La maladie n’en finit pas de se déclarer et cette suspension du temps peut durer longtemps…
Le diagnostic étant fait, proposer un traitement pour soulager le patient relève pour des objecteurs de croissance d’un double défi. D’une part, si la proposition de la décroissance consiste, en effet, à sortir de la société de consommation pour construire une société d’abondance frugale ou de prospérité sans croissance, il s’agit d’une utopie concrète. Autrement dit, d’une vision cohérente pour une alternative, certes possible mais idéale et réalisable seulement à long terme. D’autre part, le projet que les objecteurs de croissance ont développé est fait à partir d’une position de «savant», donc pour reprendre la distinction et l’analyse de Max Weber, selon l’éthique de la conviction et non selon l’éthique de la responsabilité qui préside à l’action du politique. Les compromis nécessaires pour faire aboutir la moindre réforme et les négociations en fonction des rapports de force nous sont étrangers. Très bien! Mais en attendant qu’est-ce qu’on fait? Me demandent les députés verts Grecs. En présence de ce double défi, je n’ai pas voulu me défiler et j’ai accepté de présenter à Bruxelles dans l’enceinte du parlement européen les solutions des «décroissants» pour la Grèce d’abord, et plus largement pour tous les pays en crise, sous le titre: La double imposture de la rilance.
Qu’est-ce que la «rilance»? C’est au fond ce qui a été proposé au sommet (G8/G20) de Toronto en septembre 2009, un programme affichant simultanément et la relance et l’austérité. Le premier ministre allemand, Angela Merkel, plaidait pour une politique vigoureuse de rigueur et d’austérité. Le président américain, Barak Obama, craignant de casser la timide reprise de l’économie mondiale et étatsunienne par une politique déflationniste, plaidait pour la relance raisonnable. L’accord final s’est fait sur une synthèse bancale: la reprise contrôlée dans la rigueur et l’austérité tempérée par la relance. Notre ministre de l’Economie, qui n’était pas encore présidente du FMI, Christine Lagarde, a alors risqué le néologisme «rilance» (contraction de rigueur et relance)! Ce faisant, elle emboitait le pas au conseiller du président Sarkozy, Alain Minc, qui, interrogé sur ce qu’il fallait faire dans la situation critique engendrée par la déstabilisation des Etats par les marchés financiers que ces mêmes Etats venaient de sauver de la déconfiture, a eu cette formule admirable: «Il faut appuyer à la fois sur le frein et sur l’accélérateur». Pour être cohérent avec notre projet à long terme, la position de la décroissance ne peut justement être que l’exact contrepied de la rilance: ni rigueur, ni relance!
I – Ni rigueur: Refuser l’austérité
Rejeter la rigueur ou l’austérité est une position sur laquelle nous pouvons au moins trouver des alliés (même si très minoritaires) tant chez les économistes, par exemple, en France, Fréderic Lordon, Jacques Sapir, Emmanuel Todd et même le seul prix dit Nobel d’économie français, Maurice Allais, ou en Italie, Loretta Napoleoni, que chez les politiques, par exemple Jean-Luc Mélanchon dans son programme actuel et même le socialiste Arnaud Montebourg (sans parler, horresco referens, de Marine le Pen qui récupère sur le mode populiste quelques aspirations légitimes ou plus honorablement Nicolas Dupont-Aignan). Tous se retrouvant dernière l’idée de «démondialisation» qui a aussi la faveur des «objecteurs de croissance».
La crise grecque s’inscrit dans le contexte plus large d’une crise de l’Euro et d’une crise de l’Europe. Et bien sûr d’une crise civilisationnelle de la société de consommation, comme nous l’avons souligné, c’est-à-dire une crise qui conjoint une crise financière, une crise économique, une crise sociale, une crise culturelle et une crise écologique. Ma conviction profonde est qu’en résolvant la crise de l’Europe et de l’Euro, sinon la crise de la civilisation consumériste, on résoudra la crise grecque, mais qu’en maintenant la Grèce sous perfusion à coup de prêts conditionnés par des cures de plus en plus fortes d’austérité, on ne sauvera ni la Grèce, ni l’Europe et qu’on aura plongé les peuples dans le désespoir.
Rejeter l’austérité suppose d’abord de lever deux tabous qui sont à la base de la construction européenne: le protectionnisme et l’inflation. Le projet de la décroissance, implique de réhabiliter ces deux phénomènes qui ont pu faire l’objet de politiques systématiques par le passé. Les politiques tarifaires de construction et reconstruction de l’appareil productif, de défense des activités nationales et de protection sociale, et celles de financement du déficit budgétaire par un recours raisonné à l’émission de monnaie engendrant cette «gentle rise of price level» (inflation modérée) préconisée par Keynes, ont accompagné l’exceptionnelle croissance des économies occidentales de l’après guerre, ce que l’on a appelé en France les trente glorieuses - à vrai dire la seule période dans l’histoire moderne où les classes laborieuses ont joui d’un relatif bien-être. Ces deux instruments ont été proscrits par la contrerévolution néo-libérale et les politiques qui voudraient les préconiser sont aujourd’hui anathémisées, même si tous les gouvernements qui le peuvent y ont recours de façon plus ou moins subreptice et insidieuse.
Comme tous les instruments, le protectionnisme et l’inflation peuvent avoir des effets négatifs et pervers (et ce sont surtout ceux-là que l’on observe aujourd’hui de leur utilisation honteuse: par exemple le protectionnisme agricole du Nord, qui est le plus connu - selon la Banque mondiale, la conséquence en serait un manque à gagner de 50 milliards de dollars par an pour les pays exportateurs du Sud - or la politique fiscale allemande pour forcer les exportations, dont le député vert Allemand, Sven Giegold, a donné un autre exemple moins visible); mais il est indispensable d’y avoir recours intelligemment pour résoudre de façon satisfaisante socialement et écologiquement les crises actuelles. Eviter la catastrophe d’une austérité déflationniste, mais aussi le désastre environnemental assuré d’une reprise productiviste. Il s’agit d’abord de ne plus recourir à l’emprunt pour financer le déficit public. Le remboursement des emprunts qui est à l’origine de la crise des dettes souveraines représente un part de plus en plus grande des dépenses budgétaires et constitue un cadeau des contribuables aux rentiers et aux banquiers.
Or pour financer l’impasse budgétaire par un recours à l’institut d’émission et pour dévaluer une monnaie dont le taux de change avec le dollar asphyxie nos économies, aujourd’hui, il faut probablement sortir de l’Euro, à défaut de pouvoir le corriger. Il faut se réapproprier la monnaie qui doit retrouver sa place: servir et non asservir. La monnaie peut être un bon serviteur, mais elle est toujours un mauvais maitre.
Tandis qu’on renonce à toute imposition des superprofits bancaires et financiers, l’austérité frappe de plein fouet les salariés et les classes moyennes et inférieures avec baisse des rémunérations, réduction des prestations sociales et recul de l’âge légal de la retraite (qui signifie concrètement la diminution de son montant). Pour compléter le tout et préparer la reprise mythique, on démantèle toujours plus les services publics et on privatise à tout va ce qui ne l’a pas encore été, avec suppression massive de postes (enseignement, santé, non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, etc.). On assiste à une étrange concurrence masochiste à l’austérité. Le pays A annonce-t-il une baisse des salaires de 20%, aussitôt, le pays B annonce qu’il va faire mieux avec 30%, tandis que C pour ne pas être en reste s’empresse d’ajouter des mesures encore plus rigoureuses. Sommées par la publicité omniprésente de continuer à consommer toujours plus sans en avoir les moyens et à s’endetter sans perspective de pouvoir rembourser, il faudrait en quelque sorte expier la pseudo fête consumériste tout en continuant à la nourrir dans la morosité.
Cette politique d’austérité stupide ne peut qu’engendrer un cycle déflationniste qui précipitera la crise que la relance purement spéculative n’empêchera pas; et les Etats exsangues ne pourront plus cette fois sauver les banques à coup de milliers de milliards de dollars. Cette politique est non seulement immorale, mais elle est aussi absurde. On aura la faillite de l’Euro sinon de l’Europe et la catastrophe sociale, et bien sûr écologique.
En attendant cette éventualité, si les objecteurs de croissance étaient amenées à gérer les affaires de la Grèce, par exemple, ou celles de tout autre pays en crise, quelle serait leur politique? La répudiation pure et simple de la dette, c’est-à-dire la banqueroute de l’Etat serait un remède de cheval qui résoudrait le problème en le supprimant. Vu l’impossibilité pour la Grèce de la payer, il vaut mieux faire supporter le défaut de paiement aux investisseurs qu’à l’ensemble des contribuables européens. Toutefois, cette solution radicale, qui n’est pas à exclure et aurait volontiers la faveur des «décroissants», risquerait de plonger le pays dans le chaos. Le problème, en effet, est qu’en pratique, la crise d’endettement des Etats n’est qu’un morceau du problème. La réponse théorique à la seule question de la dette des Etats qui, même pour les plus endettés, est de l’ordre du montant du PIB, est autrement plus facile à faire que celle concernant la solution de l’inflation mondiale des créances nées de la spéculation financière (selon la banque des règlements internationaux de Bâle, en effet, en février 2008 la création de produits dérivés atteignait 600 000 milliards de dollars soit de 11 à 15 fois le produit mondial et le total des liquidités créées peut être estimé à un million de milliards, soit plus de vingt fois le produit mondial - là, à part l’effondrement, même un décroissant n’a pas de remède miracle pour atterrir en douceur…). La menace d’un risque systémique est loin d’être écartée.
En ce qui concerne la dette publique, son annulation risquerait de frapper non seulement les banques et les spéculateurs, mais aussi directement ou indirectement de petits épargnants et de modestes retraités qui ont fait confiance à leur Etat ou qui se sont fait refiler par leur banque et à leur insu des placements complexes comprenant des titres douteux. Une reconversion négociée (ce qui équivaut à une banqueroute partielle), comme cela s’est fait en Argentine après l’effondrement du peso, ou après un audit, comme le propose Eric Toussaint et une coalition d’ONG pour déterminer la part abusive de la dette et comme cela s’est fait sans problème dans l’Equateur de Correa, est sans doute préférable (Taille 2011). On peut même prévoir le maintien du titre pour les petits porteurs et une dépréciation de 40% à 60% pour les autres ou encore recourir à un «haircut» fiscal (c’est ce que propose Thomas Piketti dans une tribune du journal Libération du 28 juin. Il s’agit de faire payer par les banques une partie du remboursement de la dette). Pour apurer la dette restante, un accroissement des recettes fiscales par une ponction exceptionnelle sur les profits financiers, comme le fait la Hongrie, ne serait pas mal venue et la mise en place de la fiscalité progressive avec, en tout premier lieu, dans le cas français l’abandon réel du bouclier fiscal et des niches scandaleuses.
Dans une société de croissance sans croissance, ce qui correspond plus ou moins à la situation actuelle, l’Etat est condamné à imposer aux citoyens l’enfer de l’austérité, avec en prime la destruction des services publics et la privatisation de ce qu’il est encore possible de vendre dans les bijoux de famille. Ce faisant on court le risque de créer une déflation et d’entrer dans le cycle infernal d’une spirale dépressive. C’est précisément pour éviter cela qu’il faut entreprendre de sortir de la société de croissance et de construire une société de décroissance.
Ni relance: Sortir de la religion de la croissance
Rejeter la reprise de la croissance productiviste et sortir de la religion de la croissance est une position beaucoup plus difficile à défendre que le refus de l’austérité. Elle n’est défendue en théorie que par les seuls «objecteurs de croissance» et n’est admise en pratique que par certains écologistes pour le long terme, mais singulièrement oubliée pour le court terme par la plupart d’entre eux à l’instar de Daniel Cohn-Bendit. Heureusement, nous trouvons un allié de poids inattendu dans la personne de l’ancien secrétaire du Parti communiste italien, Enrico Berlinguer. Sous le nom d’austérité (auquel nous préferrons substituer celui moins ambigu de frugalité) il contestait, en 1977, la politique de croissance pour sortir de la crise. «Pour nous, l’austérité est le moyen pour s’opposer aux racines d’un système dont les caractères distinctifs sont le gachis et gaspillage, l’exaltation des particularismes et de l’individualisme le plus effréné, du consumérisme le plus insensé, système qui est entré dans une crise structurelle et fondamentale, et non pas conjoncturelle, et de poser les bases de son dépassement» (Berlinguer 2010, p. 25).
Notons d’abord que la relance de madame Lagarde c’est la relance de l’économie de casino, celle de la spéculation boursière et immobilière, pour l’essentiel. C’est l’illusion de la croissance, sans la prospérité… Et, en effet, pour les gouvernements en place, le slogan «Et la relance, et l’austérité» signifie la relance pour le capital et l’austérité pour les populations. Au nom de la relance, d’ailleurs largement illusoire, de l’investissement et totalement fallacieuse de l’emploi, on baisse ou l’on supprime, les charges sociales, la taxe professionnelle et l’impôt sur les bénéfices des entreprises. Face à cette menace très présente, de bons esprits, comme Joseph Stiglitz, préconisent les vieilles recettes keynésiennes de la relance de la consommation et de l’investissement pour faire repartir la croissance. Cette thérapie n’est pas souhaitable. Pas souhaitable, parce que la planète ne peut plus le supporter, pas possible peut-être, parce que, du fait de l’épuisement des ressources naturelles (comprises au sens larges), depuis les années 70 déjà, les coûts de la croissance (quand elle a lieu) sont supérieurs à ses bénéfices. Les gains de productivité escomptables sont nuls ou quasi-nuls. Il faudrait encore privatiser et marchandiser les dernières réserves de vie sociale et faire croître la valeur d’une masse inchangée ou en diminution des valeurs d’usage, pour prolonger de quelques années seulement l’illusion de la croissance.
Toutefois, ce programme social-démocrate qui constitue le fonds de commerce des partis d’opposition de la gauche classique n’est pas crédible, d’abord parce que ces partis ne sont pas en état de remettre en cause le carcan de fer du cadre néo-libéral qu’ils ont eux-mêmes contribué à construire au cours des trente dernières années et qui suppose une soumission sans faille aux dogmes monétaristes. L’exemple de la Grèce est ici assez éloquent.
Il s’agit de sortir de l’impératif de la croissance, autrement dit, de rejeter la recherche obsessionnelle de la croissance. Celle-ci n’est évidemment pas (et ne doit pas être) un but en soi; elle ne constitue plus le moyen pour supprimer le chômage. Selon les calcul d’Albert Jacquard, on estime qu’une croissance du PIB français de 4% par an entraînerait un recul du taux de chômage de 2%. A ce rythme-là, dans cinquante ans plus tard, le PIB aura été multiplié par 7 (+ 600%) mais le nombre de chômeurs ne baisserait que de 64%. Etant donné que le chômage, toutes catégories confondues, concernait 5 millions de personnes en 2010, nous serons encore très loin du plein emploi en 2060, puisque subsisteraient un peu moins de 2 millions de chômeurs (Jacquard 1995, p. 63). Il faut tenter de construire une société d’abondance frugale ou, pour le dire comme Tim Jackson, de prospérité sans croissance (Jackson 2010).
Le premier objectif de transition devrait être la recherche du plein emploi pour remédier à la misère d’une partie de la population. Dans l’esprit du projet de la décroissance, cela pourrait être fait par une relocalisation systématique des activités utiles, une reconversion progressive des activités parasitaires comme la publicité ou nuisibles comme le nucléaire et l’armement, et une réduction programmée et significative du temps de travail. La relocalisation, pièce centrale de l’utopie concrète de la décroissance, permet d’engager le processus de démondialisation et initier la démarchandisation du travail et de la terre, condition de la rupture. Pour le reste, c’est le recours à la planche à billets et donc à une inflation contrôlée (disons plus ou moins 5% par an) que nous préconiserions pour financer les investissements nécessaires à la reconversion écologique et à la transition. Cette solution keynésienne, qui équivaut au recours à une monnaie fondante, en stimulant l’activité économique, sans pour autant rentrer dans logique de la croissance illimitée, favoriserait la solution à court terme des problèmes engendrés par l’abandon de la religion de la croissance.
Bien sûr, ce beau programme est plus facile à énoncer qu’à réaliser. Dans le cas de la Grèce, il suppose au minimum de sortir de l’Euro et de rétablir la drachme, probablement inconvertible, avec ce que cela implique: contrôle des changes et rétablissement des douanes. Le nécessaire protectionnisme sélectif de cette stratégie ferait horreur aux experts de Bruxelles et de l’O.M.C. Il faudrait donc s’attendre à des mesures de rétorsion et à des tentatives de déstabilisation extérieures relayées par le sabotage des intérêts lésés de l’intérieur. Ce programme semble donc aujourd’hui très utopique, mais quand nous serons au fond du marasme et de la vraie crise qui nous guette, il paraitra souhaitable et réaliste.
Conclusion
Dans la tragédie grecque ancienne, la catastrophe, c’est l’écriture de la strophe finale. Nous y sommes. Un peuple vote massivement pour un parti socialiste dont le programme était classiquement social-démocrate et, soumis à la pression des marchés financiers, se voit imposer une politique d’austérité néo-libérale par ce même parti obéissant aux injonctions conjointes de la troïka (la commission européenne de Bruxelles, la B.C.E et du Fond Monétaire international. Interdit de réferendum par Merkozy, la Grèce se voit obligée de choisir un gouvernement de technocrates ultralibéraux chargé de renforcer l’austérité. Refuser démocratiquement ce diktat, ce que l’Islande a pu faire, l’Euro en empêche la Grèce. Il est clair que le peuple grec n’accepterait probablement pas dans sa majorité, en tout cas pas facilement, les conséquences des ruptures nécessaires pour une autre politique (sortie de l’Euro, répudiation au moins partielle de la dette publique, mise au ban probable de l’Europe et embargo des pays «spoliés», fuite de capitaux, etc.). Mais avec les remèdes de la troïka, «le sang, la sueur et les larmes» suivant la fameuse formule de Churchill, sont déjà là, seulement, sans l’espoir de la victoire. Le projet de la décroissance ne prétend pas faire l’économie de ce sang, de cette sueur et de ces larmes, mais au moins, il ouvre la porte de l’espoir. La seule façon d’y échapper, nous le souhaitons ardemment, serait de réussir à sortir l’Europe de la dictature des marchés et construire l’Europe de la solidarité, de la convivialité, ce ciment du lien social qu’Aristote appelait la philia.
Bibliographie
Berlinguer E. (2010), La via dell’austerità. Per un nuovo modello di sviluppo, Edizioni Dell’Asino, Roma.
Cochet Y., Dupuy J.-P., George S., Latouche S. (2012), Où va le monde? 2012-2022: une décennie au devant des catastrophes, Mille et une nuits, Fayard, Paris.
Taille M. (2011), Vu de Quito, Rafael Correa met la dette équatorienne au carré, in “Le monde”, 27/28 août.
Jackson T. (2010), Prospérité sans croissance, De Boeck/Etopia, Bruxelles.
Jacquard A. (1995), J’accuse l’économie triomphante, Calmann Lévy, Paris (nuova edizione Poche, Paris 2004).